Portrait in MEN’S UP Magazine (France)

Quand on est gosse, on rêve d’être pilote de formule 1, gardien de phare, architecte ou médecin. Jacques Pierrejean n’avait pas précisément la tête dans les nuages et ne rêvait pas de voler. Pourtant, son métier est extraordinaire à plus d’un titre. Bienvenue à bord des avions fabuleux de Jacques Pierrejean.

Jacques Pierrejean vient de livrer son dernier “bébé”. Un yacht de 141 m de long, doté de 4 ponts, une embarcation qui occupe la 4e place au classement des plus grands yachts du monde. Mais ce qu’il préfère, ce sont les avions. « J’avais plus de passé vis à vis des yachts que des avions. Je venais de Cannes et dans le port de Cannes il y a des yachts. » Jeune homme, à bord d’un 747 il s’interroge : qui aménage les avions ? « En revenant sur Paris, je me suis dit qu’il serait intéressant de rentrer en contact avec Dassault. Il se trouve qu’à cette époque (au début des années 80 NDLR), Dassault ne faisait que des avions militaires et très peu d’avions privés ». Chez Dassault, il rencontre un passionné d’architecture. Ensemble, ils mettent sur pied l’unité d’aménagement d’avions privés.

L’idée que certains happy fews puissent s’offrir la liberté de décoller quand bon leur semble est passée dans les mœurs. Avec Dassault, le marché des avions privés s’est développé. « Pendant ces douze années, je me suis retrouvé chez Dassault comme consultant pour aménager des Falcon. On en faisait de quatre à six par an. Ça prenait de plus en plus d’ampleur. Dans le monde, nous devions être environ cinq cabinets à pouvoir travailler ce genre de design intérieur d’avions ». Les avionneurs civils ont suivi. Airbus m’a demandé de travailler sur quelques projets d’avions en aménagement privé. Ces projets ont commencé à intéresser les vendeurs d’Airbus, ce qui m’a valu de faire des avions privés de grande taille très vite, qui étaient incomparable avec ce que je faisais dans le milieu des jets d’affaires ».

Des avions toujours plus grands

En 2014, le monde comptait 2 325 “super riches” : un chiffre en constante augmentation qui a pour conséquence une véritable inflation dans la démesure. Et l’aménagement ne se limite plus à choisir le cuir ou la couleur des sièges. Boeing 747, Airbus A340, il n’y a plus de limite à la taille des avions que les milliardaires – ou les Etats – sont prêts à s’offrir. Seul l’A380, le plus gros avion civil du monde, trop grand pour de nombreux aéroports, reste à l’état de projet. « Vous avez deux types de gros avions : le 747 800 qui est le dernier né de chez Boeing, que nous sommes en train de livrer en avion privé, avec deux étages et l’A380 » détaille l’architecte, qui a été consulté pour l’aménagement d’un A380 Las, l’avions requiert des capacités d’accueil et un service au sol important. « Or le summum de l’avion privé, c’est de pouvoir aller où vous voulez. Au fur et à mesure du projet le client s’est aperçu de la complication de cet avion. Donc l’A380 en privé n’existe pas. »

Quatre ans d’aménagement pour un gros Boeing

Aménager un avion comme un appartement – ou comme une maison ! – n’est pas si simple. Les contraintes sont nombreuses, souvent difficiles à imaginer depuis le sol. Ainsi, installer une simple douche reste un exercice quasi impossible. Alors ne parlons pas d’une piscine ou d’un jacuzzi. « Quand on fait un avions, ce sont des projets de dix-huit mois à quatre ans. Dix-huit mois, c’est un petit Airbus, un gros Boeing c’est quatre ans. Un bateau c’est entre un et trois ans, c’est plus rapide, il y a moins de contraintes. » Car on ne peut pas tout faire dans le domaine de l’aéronautique. Au delà des contraintes de poids, de matériaux inflammables, de gestion des masses liquides (Jacques PIerrejean compare un jacuzzi à un verre plein : il n’est pas compliqué d’imaginer ce qui se passe quand l’avion traverse une zone de perturbations), le secteur est rigoureusement encadré sur le plan technique. « L’artisan qui travaille seul n’a aucun problème pour faire un bateau. Pour faire la même chose dans un avion, vous allez être audités.». Autre donnée de taille, tous les matériaux bougent sous l’effet de l’altitude. « Il faut être créatif mais aussi averti et réaliste. C’est aussi pour cela que nous sommes si peu nombreux dans ce métier » poursuit-il.

Mieux vivre ses déplacements

Dans un avion, la notion de luxe prend une dimension différente. L’originalité du plan ou la richesse ostentatoire des matériaux n’est pas vraiment le sujet pour Jacques Pierrejean, à qui le succès n’a pas tourné la tête. Les avions bling-bling, très peu pour lui. Mais quand poser du marbre ou installer une salle de sport deviennent un challenge, l’exercice prend de l’intérêt pour l’architecte. De fait, de nombreuses innovations venues de l’aéronautique ont connu un certain succès. Ainsi les LED, aujourd’hui très répandues dans l’équipement de la maison, ont été employées par l’architecte pour créer une ambiance lumineuse propre à recaler l’horloge biologique des passagers au fil du voyage. De même, le travail conduit avec les artisans permet à Jacques Pierrejean de poser des sols en cuir ou même… en marbre. Le marbrier a développé une feuille de marbre d’1,5 mm, que l’on dépose sur le panneau en nid d’abeille léger de l’avion. Une innovation qui a permis au fournisseur de gagner en compétitivité sur d’autres marchés, sur le plancher des vaches cette fois. « On reste un exécutant par rapport à une clientèle, qui est dans le domaine de l’hyper luxe. Tout ce qu’on fait c’est répondre à une question d’utilité à bord. Tout cela pour moi, cela contribue au bien-être. Notre recherche dans ce domaine de l’aéronautique vise à ce que les gens vivent de mieux en mieux dans leurs déplacements, que ce soit pour une compagnie aérienne ou un avion privé » conclut Jacques Pierrejean.